Alexandre Bert


Interview d’Alexandre Bert - Chargé de mission auprès du Directeur Général chez Slate.fr et ancien étudiant de la chaire Média et Digital (promotion 2017-2018).


  • Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?


Je suis arrivé en tant qu’AST en 3ème année BBA et j’ai tout de suite repéré la chaire média. Une fois que j’ai terminé cela, j’ai fait un stage à France Culture au service des fictions. Depuis tout petit j’ai toujours eu une passion pour le spectacle et la création de manière générale et, dans les fictions radios, il y avait un mix chouette entre diffuseur radio et production en interne. J’y ai pu acquérir une vision stratégique des médias tout en étant impliqué dans la phase de création donc j’ai pu développer des compétences de développement de scénarios, de choix éditoriaux et d’accompagnement de projets scénaristiques…


J’ai ensuite continué avec un Master 2 à la Sorbonne, dédié à l’écriture et le développement pour le cinéma, la télévision et la radio. En parallèle, je travaillais en alternance chez BBC Radio France qui est une antenne de BBC Studio et dont l’objectif est de développer à la fois des adaptations de programmes anglais pour la France et de créer des programmes originaux correspondant à l’ADN de la BBC pour le marché français.


Enfin, je suis rentré chez Slate et Initial Studio. C’est Boris Razon, mon professeur de Master 2 qui est désormais directeur éditorial d’ARTE et anciennement directeur de la rédaction de Slate qui m’a proposé de travailler là-bas et ça fait 1 an et demi que j’y suis maintenant.



  • Qu’est-ce qui te plait dans ton job actuel ? Quelles sont tes missions principales ?


Actuellement, je travaille pour Slate.fr et Initial studio (filiale slate) et en parallèle je continue à faire des missions pour France culture.


Slate:

Je travaille avec le Directeur Général, je réalise des missions de développement du média, j’essaie de mettre à disposition la force de frappe de Slate pour des marques et des institutions. Concrètement, je recherche des partenaires susceptibles de parler au lectorat de Slate, et ensuite je monte toute une équipe autour de ce projet.

A l’origine, Slate, c’est principalement des articles et des podcasts à partir de 2016. Aujourd’hui, afin de toucher notre audience, on passe par l’écrit, le podcast, la photo. Finalement, je suis chargé de valoriser au mieux les compétences et la force de Slate.


Podcasts

Il faut savoir que le marché du podcast est encore un peu un no man’s land qui commence seulement à se structurer. Il y a notamment un travail énorme autour du statut des auteurs de podcast (sécurisation) ainsi qu’un enjeu de monétisation. Chez Slate, on dénombre une quinzaine de podcasts récurrents, et mon but est d’avoir des commerciaux qui puissent vendre les espaces publicitaires pour rendre le podcast rentable (sachant qu’aujourd’hui, aucune entreprise de podcast n’est vraiment rentable).


Deux modèles de fonctionnement de publicité dans le podcast :

1/ Publicité au début et/ou à la fin du podcast (régie interne, trouver des annonceurs, apparition de régies podcasts)

2/ Sponsoring : système plus avantageux financièrement, une marque qui sponsorise le podcast et qui va presque l’incarner (pub intégrée au programme et c’est le présentateur qui mentionne le sponsor)


Conjointement avec la régie et le DG, je réfléchis à ces deux sujets. C’est assez stimulant de voir que le podcast devient de plus en plus crédible pour les gros annonceurs; alors même qu’on reste finalement sur des micro-audiences (Transfert : 1 million d’écoutes par mois par exemple). Les marques ont compris que le podcast était un endroit fabuleux pour les annonceurs. L’auditeur accepte en effet plutôt bien la pub dans le podcast.


Initial Studio:

Initial Studio a été créé par le DG de Slate à l’époque (Boris Razon), avec l’idée que le podcast allait réussir son pari s’il touchait un public large (question des sujets abordés dans les podcasts) car on ne va pas se mentir, actuellement les podcasts s’adressent plutôt à un public parisien. En effet, le podcast s’est créé pour répondre au besoin d’un espace de parole différent. Mais finalement on atteint un peu les limites de cette logique et Slate avait envie de délivrer du contenu à forte fréquence, peu coûteux et qui touche un public plus large.


Une des nouvelles idées pour toucher une plus large audience serait d’adapter des programmes audiovisuels déjà produits en podcasts, majoritairement des documentaires. Ainsi, le podcast constituerait une nouvelle fenêtre d’exploitation pour ces programmes télé. Il s’agit alors de négocier les droits des émissions et de construire des offres éditoriales cohérentes (Ex: Justice en direct, programme France 2).

A terme, le but est d’identifier les formats pensés à première vue pour l’image mais qui fonctionnent bien pour l’audio, afin de produire directement du contenu audio écoutable par le plus grand nombre.



  • Au cours de ton parcours professionnel, tu as choisi de te tourner vers des entreprises qui diffusent des nouvelles manières de s’informer et de se cultiver (les podcasts, Slate, …), penses-tu que l’avenir de l’information réside dans ces nouveaux formats ?


Oui car je crois que peu importe la manière dont on diffuse, le contenu est roi. Or, les nouveaux médias ont la capacité d’essayer des choses et de centrer leur production sur ce qui intéresse les gens avant tout.


Dans les médias traditionnels, on a des œillères qui empêchent de sortir des schémas classiques. Les nouveaux médias partent davantage du contenu et ont la capacité de s’adresser et donner la parole à tout le monde.


Toutefois, il ne s'agit pas de dire que les médias traditionnels sont condamnés, mais il faudrait sans doute un écosystème global et une certaine agilité pour s’adresser à tous les interlocuteurs et adapter sa stratégie de contenu en fonction des différents canaux de diffusion.



  • Penses-tu que les podcasts vont continuer à s’adresser à un public jeune ou la cible et la stratégie sont amenées à évoluer pour suivre les changements de consommation ?


Il y a en effet un vrai sujet sur l’âge des auditeurs de podcasts. Le premier gap à franchir concerne l’accessibilité par tous aux podcasts. En effet, passé un certain âge, les personnes ne savent pas forcément où et comment écouter des podcasts. Ainsi, le contenu a beau être adapté à tous, cela ne fait pas vraiment sens si la personne ne sait pas comment y accéder. Des grands groupes sont en train de réfléchir à réaliser leurs propres podcasts et ils pourraient largement contribuer à une “évangélisation” du podcast et auraient la capacité de faire comprendre à une audience large comment y accéder.


En ce qui concerne les jeunes qui “consomment” beaucoup de podcasts, c’est finalement devenu un média d’habitude qui selon moi va rester dans le temps (transport…).


Assez étonnamment, certains sujets de niche trouvent leur audience: podcast business, entrepreneuriat (+500K écoutes par mois), ce sont des surprises auxquelles on ne s’attend pas forcément. En réalité, la clé réside dans la création d’un lien intime avec le public, Binge et Slate sont par exemple assez forts pour cela ! Le revers de la médaille de cette forte connexion avec l’auditeur est que ce dernier va parfois vouloir choisir les prochains sujets abordés et il ne va pas hésiter à exprimer son mécontentement si tel épisode ne lui convient pas.



  • Au niveau du public du podcast, comment cela se passe-t-il pour le recueil des données?


En ce qui concerne Slate, on pratique la multidistribution de nos podcasts, i.e. on les partage sur toutes les plateformes d’écoute possibles. Or, comme on n’est pas sur un environnement fermé, il est difficile de collecter les informations. Il y a de plus en plus d’entreprises qui se spécialisent dans la tech audio et qui nous aident à avoir des données plus précises. En termes d’information, on arrive à avoir le sexe, l’âge, la répartition géographique et le comportement d’écoute des auditeurs.

Le vrai nerf de la guerre, c’est la relation avec les grandes plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Amazon, Apple) qui, eux, disposent de données beaucoup plus fines. En effet, ces plateformes ont une mine d’or “gratuite” entre les mains et ce sont eux qui déterminent les podcasts qu’ils mettent en avant. Malheureusement, ils ne nous communiquent pas les données.


On expérimente actuellement le podcast payant car il y a peu de retour d’expérience sur ce format, même si pour le moment ce qui a été fait en France ne fonctionne pas. Le principe est de proposer un podcast sans pub et des épisodes bonus, un contenu exclusif, etc. On a réfléchi à une nouvelle stratégie: éditorialiser l’offre en proposant des chaînes dédiées à certains sujets, un contenu exclusif. On est conscients que cela constitue une fenêtre d’exploitation complémentaire mais cela ne remplacera jamais l’offre initiale.



  • Que retires-tu de ton expérience d’entrepreneur (Cultopie) ? Penses-tu qu’il est plus difficile d’entreprendre dans le secteur de la culture ? Quel a été le rôle de The Media House dans cette aventure ?


Cultopie était un projet consacré au spectacle vivant, or c’est compliqué d’entreprendre dans ce milieu là. On avait 4 profils différents : un comédien et metteur en scène, un entrepreneur, une avocate, et moi-même.


Le postulat de base était qu’on s’était rendu compte que les sorties culturelles sont assez cloisonnées et qu'il manquait un espace de rencontre entre tous les arts dans un autre lieu, par exemple des défilés de mode avec des chanteurs opéra… On a fait des expositions, on a eu un rôle de producteur de spectacles mais et on voulait aller plus loin en permettant aux artistes de se financer eux même et ne pas être dépendants d’une tournée qui les empêchait de faire des trucs hors-normes. On a même réfléchi à un moyen pour ces artistes de se financer à travers le paiement sans contact ou à comment les accompagner dans leur communication marketing ou dans leurs démarches administratives. On avait bien souvent des jeunes brillants se faisant exploiter dans leur contrat.


Très vite pourtant s’est posée une question centrale : 2 personnes voulaient résoudre ces deux problématiques simultanément et 2 autres voulaient trancher entre soit devenir une solution d’accompagnement pour artistes soit opérer en tant qu’organisme de production de spectacles vivants. Cela s’est avéré trop coûteux en énergie, surtout que nous étions désorganisés. L'industrie culturelle est un milieu très technique, il faut comprendre tous les dispositifs d’aides etc. J’ai progressivement perdu plaisir à faire cela et on a finalement fait le choix d’arrêter.


The Media House nous a aidé à mieux cerner les enjeux du secteur et nous a permis d’y voir plus clair sur le projet et nos aspirations. En tout cas, c’était une expérience super stimulante qui nous a permis de déconstruire nos clichés sur le secteur et de rencontrer des personnes inspirantes.



  • Qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre la chaire et qu’en as-tu retiré ?


J’avais épluché les différents cours de la chaire, et je trouvais qu’il y avait une grande diversité, une approche globale du secteur culturel. En outre, j’ai vraiment apprécié tous les étudiants de la chaire: on partageait une passion commune mais on avait tous des profils très différents. Enfin, les rencontres professionnelles que nous avons eu la chance de faire étaient fabuleuses, nous avons eu la chance de rencontrer des experts dans chaque secteur.



  • Quel est ton meilleur souvenir de la chaire ?


Le voyage à Los Angeles reste bien sûr un très bon souvenir. Il m’a permis de me rendre compte du poids des médias et de l’audiovisuel aux US. Quand on fait la chaire, on a l'impression que tout est possible, qu’il s’agit juste d’être passionné, de creuser un sujet et de bien s’entourer pour se lancer.

A Los Angeles, on avait rencontré des français qui bossent à Universal et tout l’imaginaire que j’avais des Français qui bossent aux US s’est avéré fondé, c’était drôle à vivre.



  • Quels seraient tes conseils pour les étudiants de la chaire ou ceux intéressés ?


Je vais avoir une réponse bateau mais vraie : faîtes preuve de curiosité ! J’ai appris par expérience que c’est simple de décrocher des appels téléphoniques avec des professionnels pour savoir si leur industrie peut nous convenir. Très souvent via mon travail, je me rends compte que c'est compliqué de se faire une opinion surtout que les secteurs évoluent très vite.

Il ne faut pas hésiter à aller prendre l’information. En plus, en étant étudiant on peut facilement faire ces démarches et la chaire facilite cela encore davantage. On a moins le temps de faire et de trouver du sens dans ce qu’on fait une fois que l’on travaille donc n’hésitez pas à le faire dès maintenant.



  • Quelle est la question que tu aurais voulu qu’on te pose ?


Je me pose toujours la question de ce que j’aurais fait si je n’avais pas fait la chaire. Je n’ai pas de réponse à cette question mais il y a tellement de moments où je trouve des secteurs ou des métiers intéressants que peut-être que mon parcours aurait été différent sans cette expérience académique.