Orange et les contenus

Par Tom Didier


Depuis une dizaine d’années, Orange n’a de cesse de varier ses offres de contenus : d’abord dans le sport, avec l’acquisition d’un pack de droits 2008-2012 de la Ligue 1, puis avec Orange Ciné Séries (OCS) et depuis juillet 2017 avec la création d’Orange Content, entité rattachée à la Direction Générale, chapeautant OCS et Orange Studio.

LES CONTENUS : UN RELAI DE CROISSANCE DANS UN MARCHE DES TELECOMS SINISTRE

Pourquoi Orange, opérateur télécom, met-il un tel point d’honneur à investir dans les contenus, activité a priori assez éloignée de son métier d’origine ? La structure relativement sinistrée du marché télécom français depuis l’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile en 2012 donnerait un élément de réponse. Ainsi, les discounts permanents (jusqu’à seulement 2€ pour internet illimité dans certaines offres), un marché broadband (haut débit) proche de la saturation et des investissements importants, constants et nécessaires dans le réseau (en développement ou en maintenance) font qu’il devient difficile de générer beaucoup de chiffre d’affaires en conservant une simple activité télécom. Orange et Altice, mais aussi British Telecom (nombreux droits sportifs) au Royaume-Uni ou AT&T (Time Warner) et Comcast (NBC Universal, Dreamworks) aux Etats-Unis ne s’y sont pas trompés. A l’inverse des GAFA, pour qui les médias servent à donner de la valeur à leur réseau aux yeux des consommateurs, les opérateurs télécom cherchent donc à générer avec leurs activités médias le chiffre d’affaires qu’ils n’ont plus avec leurs activités traditionnelles.

ORANGE CONTENT ET SES DEUX BRANCHES : OCS ET ORANGE STUDIO

Dès lors et suite à son échec retentissant dans la Ligue 1 en 2012 (l’acquisition des droits de la Ligue 1 n’avait pas entrainé une hausse suffisante du nombre d’abonnements et les chaînes Orange Sport avaient une audience insuffisante), Orange a une stratégie : devenir le telco de référence sur la thématique ciné/séries en France. Cette stratégie, pilotée par Orange Content, dont la dotation devrait sensiblement augmenter en 2017 d’après Stéphane Richard, le PDG d’Orange (les dépenses d’Orange dans les contenus audiovisuels étaient jusqu’ici à hauteur de 550 millions d’euros par an), s’appuie principalement sur deux piliers : OCS et Orange Studio.

D’une part, les chaînes OCS, dont la première a été créée en 2008, ont comme ligne éditoriale la diffusion de séries américaines premium. A ce titre, l’output deal avec HBO (contrat d’exclusivité sur les séries HBO à l’aveugle, c’est-à-dire sans qu’elles ne soient encore produites) signé en 2008, renouvelé en 2013 puis en 2017, est l’atout superpuissant d’OCS, qui profite de séries aussi bien saluées par la critique (The Leftovers, Boardwalk Empire, The Wire, etc.) qu’acclamées par le public (le plus important blockbuster de l’histoire des séries TV, Game of Thrones). Cependant, si les chaînes OCS, auxquelles OCS Go (service OTT de distribution des films et séries OCS) et Pickle TV, offre SVOD à destination des jeunes regroupant ES1, GameOne, Studio+, MangaOne, OKLM TV, Spicee et South Park lancée en janvier 2018, ont été rajoutés en 2015, comptaient 2,8 millions d’abonnés en 2017 (dont 42% d’abonnés Orange), l’équilibre financier reste encore difficile à trouver. Promis d’abord pour 2015, puis pour 2017, il a encore été repoussé suite au renouvellement du contrat avec HBO, dont le montant aurait triplé, passant de 10 à 30 millions d’euros par an.

D’autre part, Orange Studio, créé en 2007, est la branche d’Orange Content chargée de la production et coproduction de films jusqu’alors (Valerian, Churchill, ou encore Les Gardiennes, en salle en ce moment), et de séries premium bientôt. Du côté du cinéma, les ambitions d’Orange Studio dans le cinéma ont été renouvelées au moment de la création d’Orange Content en juillet 2017 : le studio devrait coproduire 15 à 20 films par an, pour 100 millions d’euros d’investissement sur les 5 prochaines années. Du côté des séries, Le Nom de la Rose, première série Orange Studio inspirée du roman éponyme d’Umberto Eco, a été annoncée le 24 janvier dernier, et devrait être diffusée courant 2019 sur les chaînes OCS.

LES FILMS ET SERIES ORIGINAUX COMME FER DE LANCE

Contrairement à Altice, avec sa filiale SFR, qui a choisi l’investissement massif dans le sport (Premier League 2016-2019 pour 300 millions d’euros, Champions League et Europa League 2018-2021 pour 350 millions d’euros), avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui (le groupe chercherait à revendre les droits du fait de ses difficultés financières), Orange a donc plutôt fait le choix du cinéma et des séries premium avec l’intuition, qui est celle de tous les diffuseurs actuels (des plateformes de SVOD comme Netflix aux groupes de TV payante comme Canal+), que l’avenir se situe dans la production de contenus originaux.