L’information à l’ère du digital : qui devons-nous croire ?

Par Caroline Clermont

Un Français peut recevoir en moyenne entre 800 et 1000 informations par jour, par le biais des médias traditionnels et des réseaux sociaux. Avec la digitalisation croissante, « nous sommes entrés dans une ère de malbouffe au niveau de l’information, c’est ce qu’on appelle l’infobésité », dénonce Marc O. Ezrati, auteur de Comment décrypter les fake news?. Les contenus informationnels partagés sur Internet, en particulier sur les réseaux sociaux, sont de plus en plus nombreux mais de moins en moins qualitatifs. On parle de fake news pour décrire des informations délibérément fausses, qui visent à tromper un public. Elles peuvent provenir d’un ou plusieurs individus, de médias, d’un Homme d’Etat ou même d’un gouvernement.

Mais alors, dans ce flot continu d’informations digitales, comment faire le tri ? Est-il possible de rétablir la Vérité ?

Les fake news : un fléau pour la société

Les fake news sont par nature malveillantes et perturbent nos démocraties, particulièrement à une époque marquée par l’avènement du digital. S’intéresser au rôle des réseaux sociaux dans cette tendance à la désinformation revient alors à mieux comprendre pourquoi le phénomène est si important, et de fait dangereux, de nos jours.

C’est quoi, une fake news ?

En 2018, la commission des affaires culturelles propose une définition officielle pour décrire ce phénomène : une fake news ou fausse information représente « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable. » Cette définition insiste donc sur le fait que les fake news ne peuvent pas être prouvées. Le phénomène des fausses informations n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est la vitesse extrêmement rapide de diffusion et de propagation, permise par le digital. Le baromètre 2019 de la confiance des Français dans les médias, réalisé tous les ans par Kantar Public et Kantar Media pour La Croix et qui décrit l’évolution des pratiques en matière d’informations des Français, souligne bien cette tendance : près d’un Français sur deux serait confronté aux fake news au moins une fois par semaine. Avec Internet, le risque d’être manipulé est donc de plus en plus important et peut mettre à mal nos systèmes économique et politique.

Nos démocraties en danger

La prolifération de ces fausses nouvelles est très dangereuse pour nos sociétés. Les fake news visent à tromper un auditoire, orienter les choix, manipuler les foules. Force est de constater leur poids en politique, et cela dans le monde entier. En France, lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron a été l’objet de beaucoup de rumeurs. Le débat de l’entre-deux-tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le 3 mai 2017, en est l’incarnation. Marine Le Pen insinue que son opposant ferait de l’évasion fiscale : « J’espère que l’on apprendra [pas], dans les quelques jours ou quelques semaines […] que vous avez un compte offshore aux Bahamas ». Sa source ? Le forum4chan, surnommé par ses détracteurs « la poubelle du net ». L’hypothèse d’un compte caché y a été évoqué, parmi de nombreuses autres rumeurs sur E. Macron. Cette diffamation est alors relayée sur Twitter seulement dix minutes après sa mise en ligne par un compte relié à l’extrême droite, puis est reprise par des sites conspirationnistes. Il est néanmoins très difficile de retrouver l’auteur de cette nouvelle. Emmanuel Macron a démenti cette accusation le lendemain et a parlé d’une « fake news […] organisé avec les alliés [de Marine Le Pen], des sites pour certains liés à des intérêts russes ». Ce déluge de fausse information avait pour but de déstabiliser et de décrédibiliser le parti En Marche ! à quelques jours de l’élection présidentielle française de 2017. Ces fausses informations sont particulièrement importantes pendant les périodes électorales, et touche le monde entier.

Les réseaux sociaux amplifient le phénomène

Le rôle du digital et des réseaux sociaux dans la diffusion et la propagation des fake news est indéniable. Les fake news jouent sur les cordes sensibles du sensationnalisme et du conspirationnisme et se servent des réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, pour avoir une résonnance amplifiée. Selon une étude de Médiamétrie réalisé en 2018, les réseaux sociaux sont le premier moyen d’information des jeunes, utilisés quotidiennement par 71% d’entre eux. En deuxième position se trouve le journal télévisé, pour 49% d’entre eux. L’écart est donc flagrant : les réseaux sociaux sont devenus de nos jours une source d’information à part entière. Or, selon l’avocat Dan Shefet « il est dangereux d’assimiler les médias sociaux à des médias classiques concernant des contenus qu’ils ne créent pas et sur lesquels ils n’ont aucun choix éditorial ». Ces nouveaux médias permettent en effet le partage extrêmement rapide d’information, sans avoir été choisi au préalable et sans pouvoir en vérifier la source. Ce sont des plateformes faisant la médiation entre des contenus, avec une potentielle visée informationnelle, et des internautes. Se pose alors la question de leur responsabilité dans le déferlement des fausses informations. Les réseaux sociaux et plus largement Internet ne créent pas les rumeurs, mais permettent d’amplifier leur résonnance et donc leur impact, mettant à mal la pérennité de nos sociétés.

A l’ère digitale, les fakes news sont ainsi particulièrement redoutables, et menacent nos démocraties. Est-il possible d’enrayer ce phénomène ? Comment pourrions nous mettre le digital au service de la transmission d’une information fiable et de qualité ?

Comment lutter contre ce fléau ?

La lutte contre les fake news est un enjeu majeur dans nos sociétés modernes. La question des moyens de ce combat devient donc primordiale. En France, la prise de conscience a commencé : l’Etat, les journalistes et plus largement les experts des médias, ainsi que les citoyens sont mis à contribution.

Une régulation gouvernementale controversée

Lors de ses vœux en janvier 2018, et donc un an après sa campagne électorale parasitée de fake news, Emmanuel Macron déclarait : « Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles », et cela particulièrement en prévision des élections européennes qui auront lieu en mai prochain. Dans cette optique, le Parlement a adopté en novembre dernier deux propositions de loi contre « la manipulation de l’information » en période électorale. Ces textes doivent permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour stopper la diffusion de « fausses informations » pendant les trois mois précédant un scrutin national. Ils exigent également que les plateformes numériques, notamment les réseaux sociaux, soient transparentes lorsqu’elles diffusent des contenus contre rémunérations. Par ailleurs, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourra suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés « par un État étranger ou sous l’influence » de cet État s’ils diffusent « de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Cependant, ces textes sont très controversés et très contestés. Certains soulignent le risque de porter atteinte à la liberté d’expression en rendant légitime une possible censure. Mettre en place une telle régulation semblerait difficile. Certains en appellent alors à l’autorégulation : comment, en tant que citoyen, je peux repérer le vrai du faux ?

L’autorégulation et la reconquête du bon sens

La lutte contre les fake news devrait s’inscrire dans une démarche citoyenne. L’éducation aux médias, inscrite dans la loi de la refondation de l’Ecole depuis 2015, semble en ce sens primordiale. Il s’agit de former des citoyen actifs, éclairés et responsables, ayant conscience des risques de la manipulation de l’information. Certains groupes de presse ou bien journalistes s’engagent même à avertir et à aider les individus à repérer les fausses informations : c’est le « fact-checking ». Le Monde a par exemple créé un « Decodex », un outil qui aide les individus à vérifier les informations qui circulent sur Internet. Des démarches individuelles vont également dans ce sens, c’est le cas de Stanislas Motte qui fonde en 2012 Storyzy, un logiciel de vérification des données qui circulent sur Internet. Il part du constat que, bientôt, la quantité de fake news surpassera la quantité de real news. Or selon lui, l’Etat ne devrait pas légiférer sur les contenus éditoriaux. Il crée donc un moteur, disponible en français depuis 2017, qui permet de distinguer les plateformes d’information fiables, des plateformes conspirationnistes, suprématistes ou pseudo-scientifiques. Storyzy permet finalement de faire le tri dans ce flot continu d’information. Des individus mais aussi des journalistes, particulièrement concernés par cette question, engagent leur expertise au service des citoyens. En ce sens, Aude Favre, journaliste chez France Télévision, a lancé sa chaîne Youtube. Elle crée des vidéos à but pédagogique en décortiquant des « bobards » comme elle le dit. Elle part, elle aussi, d’un triste constat : Internet regorge de fake news et les internautes n’essaient même plus de s’en méfier. Avec sa chaine Youtube Aude WTFake, elle nous donne les clés pour déceler ces fameux « bobards ». Elle explique l’attitude que nous devrions avoir vis-à-vis de l’information qui circule sur les réseaux sociaux. Il faut toujours regarder si nous sommes à la source de l’information ou bien si c’est quelqu’un qui rapporte l’information. Ensuite, il est nécessaire de se demander si les personnes peuvent prouver ce qu’elles disent et donc si l’information découle d’une enquête. Chacun doit rester vigilant, garder son esprit critique face à l’information, ne pas hésiter à signaler un contenu qui paraît douteux, et ne surtout pas relayer une information qui semblerait suspecte.

Dans cette ère de « post-vérité » qui marque l’évolution de l’interaction liée au digital entre le politique et les médias, lutter contre le développement des fake news est devenu un acte citoyen. Nous avons tous les outils en main pour devenir des « cyber-citoyens » avertis et éclairés, à nous d’en faire bon usage.

Sources

Kantar.com – Baromètre de la confiance des Français dans les médias (2019)

Lci.fr – C’est quoi exactement une « fake news » ou « fausse information » ? La définition officielle vient d’être adoptée

LExpress.fr – Macron et l’accusation de compte caché aux Bahamas: itinéraire d’une rumeur

Culture.gouv.fr – Synthèse – Les jeunes et l’information (PDF)

LePoint.fr – Fake news : comment régler le problème sans toucher à la liberté d’expression

LExpress.fr – Macron, Trump, Brexit… Les « fake news », fléau des campagnes électorales

Europe1.fr – Le Parlement adopte les propositions de loi controversées anti-fake news

Educscol.education.fr – Présentation de l’Éducation aux Médias et à l’Information

LeMonde.fr – DECODEX

LesEchos.fr – Comment Storyzy traque les sites colporteurs de fake news

Storyzy.com

La Pause Actu – A la rencontre d’Aude WTFake, la youtubeuse qui chasse les fake news (vidéo)

AudeWTFAKE – WTFAQ #1 (vidéo)