Le rôle du community manager : ce qu’on croit qu’il fait, et ce qu’il fait vraiment

Par Louise Carrier

Il n’y a pas 20 ans, personne n’aurait parié sur l’impact de la communauté numérique sur le développement commercial et la stratégie des entreprises. Mais aujourd’huI, les entreprises semblent de plus en plus faire appel aux compétences du community manager, sorte de gourou du web, des médias, et expert des réseaux. Qui se cache donc derrière l’écran du community manager, et quels sont les enjeux de ce métier ? Est-il un professionnel indispensable au bon fonctionnement d’une entreprise, ou reste-t-il le jeune millénial à l’aise dans l’univers de la communication digitale? En un mot, est-il celui qu’on croit, et fait-il ce qu’on imagine?

Les communautés numériques : essentielles ou superflues?

Essentielles ! Si le digital a su créer, en quelques années, un nombre incalculable de nouveaux métiers ancrés dans l’univers des réseaux, le community manager reste sans conteste le principal d’entre eux. Il est né à la suite de la réunion, sur différentes plateformes numériques, d’une communauté d’utilisateurs suffisante, pouvant se réunir autour de thèmes, marques, objets ou articles dont elles ont fait un centre d’intérêt. La question s’est posée de mettre à profit cette tendance par une gestion efficace de la présence des marques sur les réseaux sociaux. Et en effet, avec le community management, ces réseaux se sont fait le lieu de la communication directe entre une marque et son public, une façon plus intime et immédiate de l’accompagner dans son quotidien, de l’informer et de l’intéresser partout, tout le temps, dans son salon comme à son lieu de travail. Pour certaines enseignes, les réseaux sociaux sont même devenus un lieu de contact privilégié et unique méritant leurs propres lignes de communication : en témoigne, par exemple, la dernière campagne Monoprix (2017), spécialement dédiée à Facebook, qui propose aux consommateurs de jouer sur les codes des réseaux sociaux et de se “tagguer [eux]-même[s]” pour gagner des réductions et des cadeaux.

Le community manager : leader ou follower de sa communauté?

Follower ! Cette proximité entre une entreprise et son public n’est pourtant pas sans risque ! Le community management en a parfois fait les frais, car il reste difficile de comprendre que celui qui décide du bien-fondé d’une publication n’est pas celui qui la publie, mais bien la communauté qui la reçoit. En un mot, le community manager, s’il est force de proposition, n’est pas pour autant un dictateur de tendances. En s’appropriant graduellement l’espace numérique, les communautés d’utilisateurs se montrent de plus en plus exigeantes, et demandent à être intéressées – sans être inondées. Et c’est ici, certainement, que réside l’un des challenges les plus spécifiques au métier de community manager : faire face, avec intelligence, finesse et réactivité, à une communauté qui a le droit de tout dire. Un bon exemple reste celui du groupe Nestlé, qui, en 2010, fut attaqué par Greenpeace au sujet de l’huile de palme utilisée dans les barres chocolatées Kitkat – et conséquemment inondé de commentaires négatifs Facebook. Face aux critiques de certains internautes concernant leur manière de riposter sur les réseaux, l’entreprise crut bon de devoir leur rappeler la liberté de poster ce que bon lui semblait sur sa propre page. Les community managers en charge de la page n’avaient pas mesuré une chose importante : les réseaux sociaux sont un espace dédié à une communauté, et qui dépend d’elle. Implicitement, elle en définit les règles puisqu’elle fonde son intérêt et explique l’existence de la marque sur les réseaux. Nestle fut obligé de s’excuser et de laisser libre cours aux commentaires de ses fans.

Le bouleversement de la chaîne de valeur : coup de maître ou aberration?

Cela dépend pour qui ! Le community manager est un nouveau type de métier de contact : il induit une nouvelle manière de travailler, qui peut parfois ne pas correspondre avec la chaîne de valeur traditionnelle. Auparavant, le contact avec le consommateur s’opérait dans un contexte et un espace-temps tout autre. Une entreprise souhaitant vendre un produit s’adressait à une agence de communication, qui lui définissait une stratégie, sur un ou plusieurs supports. On faisait de la publicité à la télévision, en suivant les codes propres à ce média, et l’on touchait un certain public. La publicité dans la presse écrite en touchait un autre. Les affiches dans la rue un troisième. La communication nécessitait du temps, et surtout de l’argent. Elle pouvait creuser encore la différence entre une jeune entreprise de peu de moyens, et un leader du secteur. Aujourd’hui, on ne peut plus ignorer que Facebook, Twitter et même Instagram sont de puissants outils promotionnels et commerciaux, puisqu’ils permettent à n’importe quelle entreprise de toucher potentiellement 2,07 milliards de personnes (nombre d’utilisateurs de la communauté Facebook). Les réseaux suffisent donc à approcher non pas un, mais la plupart des consommateurs potentiels d’une marque, sur un canal unique, avec un seul contenu, bouleversant à eux seuls toute la chaîne de valeur médiatique. Puisque la transmission est instantanée, le temps de diffusion est plus rapide et les intermédiaires sont supprimés. C’est par exemple grâce une vidéo, diffusée viralement sur Facebook et Youtube, que l’entreprise DollarShaveClub.com, créé en 2012, devint dès 2015 un concurrent sérieux de Gillette, avoisinant les 150 millions de revenus annuels alors que les fondateurs de l’entreprise n’avaient pas 20 000$ pour démarrer leur projet. Et c’est au seul community manager que revient le devoir de diffuser, auprès de nombreuses personnes à la fois ce contenu publicitaire. Il est le garant du relais de l’information, et doit réussir à transmettre l’esprit de l’entreprise, de manière aussi formelle – via la publicité officielle – qu’informelle – à travers les réponses aux commentaires, ou la tonalité des posts.

La place du community manager : stagiaire ou CEO?

De plus en plus CEO ! Une partie du métier nécessite de rebondir habilement sur une information aussi vite que possible, et de tenter d’adopter, à ce titre, une posture originale en accord avec l’ADN de la page. Le community manager est aussi un membre de l’équipe marketing, car les réseaux sociaux n’apportent plus seulement un accès à la communauté : ils permettent de savoir exactement qui a vu quoi, quand et dans quel contexte. Ils sont à même de collecter des données, de segmenter les consommateurs que le community manager doit habilement générer et d’interpréter pour proposer une expérience utilisateur pertinente. Certains community managers ont à présent des objectifs chiffrés, et leur travail doit pouvoir aboutir à des résultats tangibles. En ce sens, la mise au point d’une véritable stratégie digitale semble entrer dans une logique plus vaste de la gestion d’une entreprise.On ne peut plus imaginer le community management comme une fonction annexe, une simple présence sur internet sans cohérence spécifique avec le reste de la stratégie marketing de la marque. Le community manager doit au contraire de plus en plus respecter, à la lettre, la stratégie globale d’une entreprise, tout en adaptant cette stratégie aux nouveaux usages et aux nouveaux outils dont il dispose. C’était tout le sens de la transformation du groupe GDF Suez en ENGIE, en 2016. Elle a été, en premier lieu, une transformation du mode de management au sein de l’entreprise, qui s’est recentré à la fois sur des investissements numériques, mais aussi sur la mise en place d’une stratégie digitale cohérente, incluant une réflexion spécifique sur l’image d’ENGIE, et une production publicitaire web spécifique aux réseaux sociaux.

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